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  • Intervention de Joseph Krummenacker

- " LE POINT DE VUE CITOYEN" - Conférence scientifique et citoyenne su


La connaissance, comme le disait Claude Lévi-Strauss, c’est de savoir écouter en oubliant ce que l’on sait et on pourrait ajouter, c’est de savoir écouter en oubliant son propre statut et l’enchainement automatique de ses propres interprétations professionnelles et personnelles. Le colloque Contrast, déroulé sur trois jours les 18, 19 et 20 décembre 2017 est un lieu où l’on s’écoute, où l’on apprend, où l’on s’enrichit de l’investissement et des connaissances partagées par les différents intervenants. La Fnapaef a eu le plaisir d’être invitée à contribuer à la table ronde du 20 décembre sur le thème des contraintes légales et des droits des personnes vus sous l’angle des personnes âgées.

Depuis longtemps, de nombreuses valeurs et principes fondamentaux sont répétés dans de multiples chartes, recommandations, lois… Mais alors pourquoi y-a-t-il autant de difficulté à les mettre en pratique ? Depuis plusieurs décennies, écrit le collectif Contrast dans son rationnel de présentation, les droits et l’autonomie des personnes faisant l’objet de soins et d’accompagnement ont été placés au centre des politiques publiques et nous ajouterons, tout du moins en intention si ce n’est toujours en réelles transpositions au plan du système opérationnel qui les rendrait réels. Parallèlement, le recours à des mesures de « contrainte légale » ne cesse d’augmenter dans les domaines de la santé mentale, du handicap et de la dépendance. Ainsi, en France, les mesures de protection juridique sont passées de quelques milliers à près de 800 000 ces dernières années. De même, le recours aux mesures de soins sans consentement augmente régulièrement depuis les années 1990, avec une accélération de cette tendance depuis la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 (Coldefy et Fernandes 2017). Cette évolution n’est pas propre au contexte français, des tendances comparables existent dans de nombreux pays européens ou nord-américains notamment. Des questions sont posées par le collectif. Les mesures légalement contraignantes visent-elles à restaurer les capacités des personnes dans une dynamique thérapeutique ou éducative? Ou constituent-elles une limite à l’idéal capacitaire énoncé par les droits fondamentaux ? Plus largement, il se pose des questions juridiques et éthiques de prise en considération des personnes en situation de handicap et de régulation des moments de troubles, dans les domaines de la santé mentale, de la dépendance et du handicap. Le collectif Contrast a initié en 2015 une démarche qui cherche à donner à ce débat une manière de « caisse de résonnance ». Une conférence « Garantir les capacités civiles et juridiques des personnes en situations de vulnérabilité » est prévue en 2018. La démarche, en lien avec le Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE) propose, notamment à travers le colloque auquel nous avons contribué, de creuser ce débat, ses implications cliniques et sociales et propose de construire un point de vue citoyen sur la question. La méthode consiste à passer par la médiation d’un dispositif scientifique de mise en dialogue des personnes concernées issues des mondes sociaux, professionnels et expérientiels différents. Les initiateurs du collectif Contrast appellent « point de vue citoyen » une prise de position à visée civile/civique, nourrie des ancrages sociaux et des positions initiales de chacun des contributeurs, médiatisées par la prise en compte d’autres points de vue situés. Ils font le pari que la constitution d’un point de vue citoyen favorisera la prise en considération des personnes en situation de handicap et leurs droits fondamentaux et facilitera la mise en œuvre d’une sagesse pratique dans les moments de troubles, dans les domaines de la santé mentale, de la dépendance et du handicap. Cette définition du « point de vue citoyen » chatouille positivement nos oreilles de citoyens engagés et de membres de la Fnapaef que nous sommes. Nous la partageons. Ce billet n’a pas vocation à donner un compte rendu du colloque Contrast, simplement de faire partager quelques impressions et notes. Dans les semaines qui viennent les actes de cet événement, traduit en simultané en anglais, seront sans doute disponibles chez l’organisateur. Dans le cours de l’un des nombreux ateliers, nous avons pris quelques notes sur la question des mesures de protection. Un arrêt de la Cour de Cassation rappelle que les mesures de protection sont faites pour protéger la volonté de la personne. Cela pourrait-il surprendre ? Ou pensez-vous peut-être que les mesures de protection auraient pour principal objet de veiller aux finances et au patrimoine de l’intéressé ? En Catalogne en tout cas c’est Non. Selon les propos d’une participante de cette région on y protège principalement la vie de la personne et la question de l’argent vient en dernier; nous soutenons cette conception. En France actuellement, les politiques placent l’argent en tout premier. Et puis, en France selon d’autres participants à cet atelier, on peut observer une forme d’exclusion de la famille dans les mesures de protection. Et nous serions tentés de dire, pour ce qui concerne les personnes âgées, très souvent une remarquable absence des mandataires de justice, un abandon serait un mot plus juste.

Chez nous, pour les personnes âgées, les mandataires de justice ne semblent pas concernés par la qualité de Vie des anciens.

Nous intervenions dans la table du 20 décembre 2017 intitulée des CONTRAINTES légales et des droits des personnes vus sous l’angle des personnes âgées.

Comment ne pas commencer par pointer le clivage organisé dans notre société entre les moins et les plus de soixante ans ? Le colloque Contrast semblait s’intéresser principalement au handicap psychique et à l’intérieur des handicaps psychiques aux populations de moins de soixante ans. Lorsque devant le public de l’amphithéâtre nous évoquons la barrière de l’âge, nous pouvons ressentir comme une sorte de flottement dans certains esprits. Flottement qui pouvait sembler vouloir dire, tiens, nous sommes sortis de notre sujet du handicap mental… de quoi nous parle-t-il ?

Eh bien, il nous parle des mêmes personnes. Nous ne faisons pas de distinguo entre les jeunes et les vieux. Pas de distinction entre les maladies et leurs conséquences en termes de handicap. Il y a des gens qui naissent avec une bonne santé et il y a des gens qui naissent avec des malformations et des handicaps et certains d’entre eux vieillissent. Il y a des gens qui vivent longtemps en bonne santé et puis il y a des personnes jeunes ou moins jeunes qui sont touchées par des pathologies lesquelles peuvent être suivies de handicaps. Il y a une unité entre toutes ces personnes. La voyez-vous ? Ce sont tous des êtres, nés ou accueillis dans notre collectivité et nous pensons que chacun quel que soit son âge, sa situation, sa pathologie, son handicap, mérite la même attention, les mêmes soins, les mêmes accompagnements. Toutes les organisations, lois, décrets, financements structurés historiquement pour de vraies fausses bonnes raisons pour fractionner, diviser les populations, les handicaps, les âges, sont simplement destinées à être aujourd’hui effacées. Il n’y a qu’une seule collectivité, il n’y a qu’une seule catégorie de citoyens qui la composent. Mettons-nous au travail ! Reprenons l’avis de début décembre 2017 du Conseil de l’âge du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age.

Connaissons-nous bien les vécus, les ressentis, les attentes des personnes touchées par les maladies cognitives ? Connaissons-nous les méthodes de communication adaptées et avons-nous les comportements adéquats au domicile et en institution ? Fabrice Gzil, de France Alzheimer, dit qu’en notre pays nous en sommes un peu sur le sujet comme à l’âge de pierre. Il nous fait partager une intéressante expérience qui connait actuellement des développements et dont le but est précisément de rendre les différents acteurs capables d’entendre les ressentis et la parole de ces personnes. Pour en savoir plus, le mieux sera de s’adresser directement à lui.

Nous ajoutons que les professionnels ne sont pas suffisamment formés et entrainés à la communication non verbale alors que 80% des personnes entrant en Ehpad sont touchées par les maladies cognitives. Et nombre d’entre elles sont aphasiques. Comment faire pour adopter le bon comportement d’accompagnement et de soin si on ne comprend pas ce que la personne ressent et demande ? Comment faire pour faire remonter au CVS, Conseil de la Vie Sociale, la parole des personnes âgées aphasiques ? Comment faire pour en échanger entre résidents, familles et professionnels ?

Et puisque que nous parlons CVS, nous rappelons que la loi du 2 janvier 2002 portant rénovation de l’action sociale et médico-sociale a prévu 7 outils dont l’un est le CVS qui est un droit et un besoin pour les usagers, les familles et les professionnels. On peut dire que l’esprit et les dispositions de la loi sont très souvent ignorés par les directions d’établissements. Manque d’information des membres des 3 collèges, élections non conformes, ordres du jour établis par la direction en lieu et place du président, animation sous forme de communication descendante au lieu d’une animation en forme de consultation des 3 collèges etc…

Nous avons encore évoqué plusieurs autres thèmes et situations en rapport avec les contraintes légales et les droits des personnes.

La liberté d'aller et venir qui commence déjà avec le "choix" d'entrer ou non en établissement. La loi d'adaptation de la société au vieillissement dit que le directeur d'un établissement se doit de recueillir le consentement de la personne âgée avant son entrée. Mais recueillir le consentement, cela veut-il dire que le choix a déjà été fait par quelqu’un d’autre ? Le choix est le plus souvent fait par les familles ou les professionnels du soin. Il y a des gens qui en sortie d’hospitalisation sont dirigées vers les soins de suite ou les Ehpad via le logiciel « trajectoire ». Il y a aussi tout ceux qui font le choix de rester chez elles alors qu’elles seraient parfois mieux en institution.

Les projets d’accompagnement personnalisés qui ont une grande importance sur la qualité de vie sont beaucoup trop subordonnés aux règlements sécuritaires.

Nous faisons état de quelques situations qui nous remontent du terrain comme celle de cette personne qui dit ; j’aimerais avoir le droit de disposer de mes meubles, le droit de faire un atelier cuisine et des gâteaux avec des vrais œufs, le droit de disposer d'un espace d'intimité lorsque mes proches me rendent visite. Le droit de pouvoir m'isoler dans ma chambre sans craindre l'intrusion du personnel. Le droit de pouvoir respirer l'air pur …

Plus grave. Je suis convoquée. On me reproche d’avoir passé la nuit auprès de mon père dans sa chambre d’Ehpad à son retour de l’hôpital en fin de journée. ON m’en signifie dorénavant l’interdiction, que ce soit à mon initiative ou à la demande mon père. ON me dira quand j’aurai le droit de venir la nuit ! Le motif invoqué, des raisons de sécurité incendie.

En prévision de mes futurs troubles de démence, dit cette autre personne, je demande à ce qu’on me laisse accès à mes affaires personnelles dans mon placard qui devra rester ouvert, à ce que ma fenêtre de chambre ne soit pas condamnée surtout en période de canicule, à ce que l'on ne touche pas à mon tiroir de table de chevet ou j'aurai caché certes, quelques plaquettes de beurre, mais aussi mes petits secrets. Et puis, si l'état d'urgence devenait permanent, je revendique le droit de voir mes proches à tout moment puisqu’on me rabâche l'idée que je suis ici chez moi. Bref pour tout cela je suis prêt à signer toutes les décharges administratives possibles.

Nous continuons. Mesdames, Messieurs les futurs usagers des Ehpad savez-vous ce que sont les sécuridraps ? Ce sont des housses de plusieurs tailles, retenues au lit par des sangles. Essayez cela, vous verrez qu’il est alors très difficile de changer de position dans son lit.

Il y a aussi cette autre nouveauté, les lits cages qui sont grillagés tout autour sur une hauteur d'environ un mètre. Les personnels sont rassurés, les personnes âgées qui veulent déambuler ne le peuvent plus. La morale est sauve. Il n’y a pas de chutes !!! Il convient de savoir que les sécuridraps comme les lits cages sont des contentions et que leur usage doit faire l’objet, comme pour les autres contentions, d'une ordonnance médicale valable pour 24 h, comme cela est dit dans la conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir. Je souligne au passage que les médecins qui respectent ces principes ne sont pas légion, nous fait remonter un ancien directeur d’Ehpad.

Je suis convaincu, dit un proche, qu'il est plus que jamais nécessaire de résister. Au fait, qu'avait dit Stéphane Hessel, un ancien jeune avant de trop vite disparaitre à plus de 90 ans en s'adressant aux futurs vieux : "Indignez-vous !" C'est le moment pendant que nous le pouvons encore. Elle monte l’indignation en ce moment et nous la stimulons.

Nous alertons sur le risque actuel que les valeurs du médico-social soient mangées par le sanitaire. Il convient de faire attention au rapprochement qui se dessine entre le sanitaire et le médico-social. L’absorption de l’ANESM dans la HAS n’est pas que de bon augure.

Il est clair que les secteurs sanitaires et médico sociaux se recoupent notamment par la gouvernance des Ehpad et SSIAD de type hospitalier où le balancier est clairement du côté du sanitaire dans les pratiques, avec des dérives qui mettent à mal la notion de lieu de vie et de respect des droits des usagers. Il ne peut pas y avoir de lieux de vie en se basant sur des règles hospitalières et non sur des règles de vie comme à domicile.

Lors d’un atelier du matin du 20 décembre 2017, un participant, avocat de son métier et proche d’une personne handicapée, nous disait que si nous ne savons pas, trop souvent, mettre en pratique les grandes valeurs fondamentales, c’est en partie parce que la relation entre les différents acteurs, usagers, familles, professionnels, n’est pas bonne. Un autre participant soulignait lui aussi l’importance de la relation, tout se négocie entre acteurs.

Nous remercions les organisateurs du collectif Contrast de nous avoir invité à participer et à contribuer à ce colloque sur les droits des personnes à l’épreuve des contraintes légales.

Nous partageons fortement le sens du « point de vue citoyen » développé par le collectif Contrast. Nous pensons qu’il est important d’améliorer la relation entre les usagers, les familles et les professionnels. La qualité de vie des personnes âgées handicapées en dépend. C’est aussi une manière de prévention et de désamorçage des nombreux conflits qui peuvent naitre en les familles et les structures. Sachons nous écouter, nous comprendre, nous mettre un instant à la place de l’autre et chercher ensemble les solutions d’amélioration de la qualité de vie de nos anciens.

[Joseph Krummenacker, Président de la FNAPAEF ]

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