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  • Pascal Le Bihanic - Administrateur FNAPAEF

Personnes âgées, familles, professionnels, quelles relations possibles ? Comment faire des familles

Les soignants confrontés à un contexte de conditions matérielles tendues et d’une importante charge psychique nous renvoient parfois ce questionnement : « le travail avec les personnes âgées étant déjà suffisamment difficile, comment trouver le temps d’accompagner les familles exigeantes voire agressives envers nous ?». Certes, leur formation issue du champ sanitaire les a préparés à s’inscrire dans un contexte de relation soignant / soigné. Sont-ils pour autant préparés à accueillir ce proche qui s’invite au cœur de leur pratique de soignant ? Si les tensions s’accroissent, le recours à l’institution est parfois invoqué pour rappeler au « contrevenant » le contrat de service à domicile ou bien interdire sa présence lors de la toilette en ehpad. Avant d’examiner la question de la gouvernance et du positionnement du projet d’établissement ou de service à l’égard des proches, observons la dynamique lors de l’évolution de cette relation triangulaire tout au long du parcours de la personne âgée.


Au commencement était la cellule familiale à l’épreuve de la perte d’autonomie


Le système familial est chargé de son histoire dans lequel s’inscrit celle éventuelle d’un couple et des relations entretenues avec chacun des enfants. La survenue d’incapacités chez la personne âgée (époux (se) / parent) avec perte d’autonomie fonctionnelle peut amener à une modification des « états du moi » définit par Eric Berne comme concept central de l’analyse transactionnelle. Le modèle du parent nourricier peut laisser place à celui de l’enfant rebelle refusant toute aide professionnelle à domicile, percevant la survenue d’un tiers comme une menace dans l’équilibre familial voir la reconnaissance d’une forme de vulnérabilité.


S’engage alors une négociation au sein de la fratrie auquel pourra prendre part la personne concernée par l’aide ou le conjoint. Quel sera l’enfant désigné comme aidant principal ? La sociologue Simone Pennec (Vieillir entre proches et professionnels, revue Empan n°52) nous rappelle que ce sont les ainés de la fratrie et principalement les filles ou à défaut belle filles qui seront désignées par les bénéficiaires avec une double logique : celle de la transmission d’une coutume filiale (les filles s’occupent traditionnellement de leur parent âgé) et de la notion de dette dont l’enfant serait redevable (« après tout ce que j’ai fait pour toi, tu me dois bien ça ! »).


Cette négociation peut aussi s’adjoindre d’une injonction « surtout tu me le promets, tu ne me mettras jamais en maison de retraite ! ». Toutes les conditions sont réunies pour que s’établisse un huis clos familial avec les risques qu’il comporte.


La survenue de troubles cognitifs peut encore compliquer le lien filial, avec parfois une inversion de la relation de parentalité et des propos déjà entendus : « avec papa, c’est un peu comme s’il était retombé en enfance ».


Selon Pierre Charazac « La conception commune selon laquelle les parents deviennent en vieillissant les enfants de leurs enfants, repose sur une dissymétrie comparable à celle de la relation parents-enfants, l'âge plaçant le parent en position de dépendance vis-à-vis de ses enfants vécus comme forts et puissants.» (P. Charazac, 1998).

La relation Personne âgée- Proche à l’heure de la triangulation par l’intervention d’un professionnel


Il faudra un évènement extérieur tel qu’une mise en danger ou un retour d’hospitalisation conjugué avec les arguments d’un médecin pour que la personne âgée accepte ou se résigne à admettre l’aide d’un professionnel. La liste des recommandations donnée par le proche peut parfois être longue à l’intention de cet « intrus ». La compréhension du contexte familial et la qualité de la relation de confiance créé par le professionnel sur la durée conditionne la réussite de l’intervention.


Ajouté à la crainte pour l’aidant d’être dépossédé de son rôle et pour la personne aidée de rompre le pacte d’alliance établi avec lui, il sera donné à voir au professionnel des objets intimes, un corps en souffrance, à entendre des propos privés et être témoin de toutes les incapacités jusqu’alors compensées dans la sphère intime ( Elian Djaoui « de l’intimité du professionnel dans l’intervention au domicile », Gérontologie et Société n° 122). Tout l’enjeu de cette nouvelle relation triangulaire est qu’elle se maintienne dans une « juste proximité » où les identités et les rôles sont préservés.


Nous pouvons être frappé à domicile comme en ehpad du comportement parfois tatillon de certains proches, comme le « syndrome du post it » disposé dans les salles de bain témoigne des attentions attendues. Ce qui est parfois perçu par les professionnels comme un manque de confiance pourrait déceler un message caché : « dites-moi que je suis un bon enfant qui veut le meilleur pour son parent ».


L’accueil en institution : Fait-il si bon ménage ? (à 4 désormais : Résident – Proche- Professionnel – Institution)


Nombreuses études montrent que l’âge d’entrée en EHPAD recule et intervient le plus souvent en urgence, après épuisement des ressources à domicile ou par la multiplication des déficiences cognitives et/ou physiques.


Ce temps de la préparation et de la négociation, si nécessaire pour cette étape importante dans le parcours de la personne âgée se trouve parfois même inexistant ne serait-ce que « pour mettre en ordre ses affaires » et ritualiser d’une certaine façon, cet abandon subit du domicile.


Comment est prise en compte, par l’institution, cette perte de territoire domestique dont le futur résidant et son proche gardaient tous les deux la maitrise jusque-là ?


L’enthousiasme de l’hôtesse d’accueil lui rappelant qu’il est ici désormais « chez lui », en lui remettant la charte des droits et libertés, ne saurait suffire.


Souvent, les discours d’accueil lors de la visite de préadmission, contiennent à l’encontre de la famille un message du type : « vous allez pouvoir désormais vous reposer, votre parent sera ici en sécurité ». En assignant un rôle passif au proche, cette présentation bienveillante ignore son besoin éventuel de rester acteur dans l’accompagnement.


D’autres institutions considèrent que ce passage de témoin a besoin de se nourrir de l’expertise développée par la famille durant de longues années de proximité et qui pourrait contenir de précieuses informations en termes de personnalité comme d’habitude de vie afin d’adapter le mode d’intervention dès le premier jour.


Ce risque de se sentir dépossédé peut se mêler à d’autres sentiments comme celui de ne pas avoir réussi à tenir la promesse d’éviter à tout prix le « placement » en maison de retraite. Mis devant une situation impossible à tenir et un fort sentiment de culpabilité, « l’enfant coupable » peut chercher plus ou moins consciemment à transformer ce dilemme en « parent vengeur », où le soignant et/ou l’institution vont être désignés très vite comme coupable. La moindre indélicatesse va alors être montée en épingle quitte à augmenter très fortement le niveau d’exigence. J’ai connu une famille ayant qualifiée de « taudis » un logement pour un mouton trouvé sous le meuble TV, une autre exigeant que le revers du drap de lit soit de x cms…


Les soignants ont tendance à idéaliser la « bonne » famille, celle qui, discrète et avenante multiplie les signes de reconnaissance envers eux concernant la difficulté à remplir leurs missions et ne remet jamais en cause la qualité de leur travail.


Le jugement pourra parfois intervenir également à l’égard de telle autre famille qualifiée d’abandonnique en raison d’une visite annuelle rendue pour la nouvelle année. Que sait-on (doit on le savoir ?) de l’histoire intime de cet enfant avec son parent ou de la difficulté à accepter ses symptômes de démence ?


De la place des proches dans le projet institutionnel


On peut se demander, compte tenu de la persistance du statut de « visiteur » accordé aux proches (et du nombre de panneaux à leur intention toujours présents sur les parkings…) si l’ehpad de demain est bien préfiguré pour accorder aux usagers et à leurs représentants, la place centrale qu’il leur est dévolue dans la loi du 2 janvier 2002. L’institution est-elle prête à accorder aux familles un autre statut que celui de visiteur – râleur – payeur ?


Les nombreux constats de dysfonctionnements des conseils de la vie sociale (désignation de représentant des familles et absence de scrutin, pilotage de l’instance par l’institution, manque de transparence, etc…) témoignent de la frilosité à ce que des formes de contrepouvoir ou mieux de partenariat constructif puissent s’exercer au sein de l’institution, en maintenant le contrôle de cette instance essentielle qui devrait être le poumon d’une véritable démocratie médico-sociale.


Il existe cependant aujourd’hui des directeurs d’EHPAD audacieux qui organisent la mise en relation en fournissant aux délégués du CVS , les adresses emails des familles ayant donné leur accord. D’autres organisent des CVS ouverts à l’ensemble des familles dans l’esprit des conseils municipaux ouverts au public. N’est-ce pas là affaire de citoyenneté ? D’autres encore organisent des forums d’échanges sur tel aspect de la vie en établissement et associent les familles à prendre part à des groupes de travail thématiques dans le cadre d’une élaboration participative du projet d’établissement. Ces démarches pro-actives à l’égard des proches ne doivent cependant pas se substituer aux résidants.


La place accordée aux proches dans le projet institutionnel et le partage des orientations par l’ensemble de l’équipe conditionneront la qualité des relations entre les familles et l’équipe de professionnels : cela va de la personne de l’accueil qui aura compris l’importance de délivrer des informations claires et compréhensible par tous, du positionnement éthique de l’équipe qui saura quoi répondre à une famille qui exige , en passant par le professionnel de maintenance qui a compris l’importance de réparer le volet roulant d’un résidant un vendredi après-midi avant de s’absenter pour le week-end.


Nous avons vu que cette relation à 3 ou à 4, qui peut laisser la place à bon nombre d’alliance dont la plus noble pourrait être l’alliance thérapeutique (Professionnels – Proches – Institution) au bénéfice du bien-être de la personne accueillie, ne va pas de soi et comporte bien des aspects multiformes susceptibles de la contrarier. Elle nécessite une approche cohérente et concertée de la part de l’équipe ou l’analyse de pratiques à toute sa place. Elle doit pouvoir s’inscrire dans un continuum ou la notion de parcours du couple résidant -proche aidant est respectée et de poser comme principe d’accueillir le proche avec son bagage chargé d’émotions tant à l’égard de son parent que la maladie et/ou la perte d’autonomie a bien transformé, qu’à l’égard de l’institution qui souvent le dépasse.


Pascal Le Bihanic

Administrateur FNAPAEF

Proche aidant durant 15 ans à domicile et en institution

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